Oui, on navigue en eaux troubles depuis un certain temps. Confinement, déconfinement, risque de reconfinement, gestes barrières… De nombreuses activités suspendues ont repris tandis que d’autres sont encore en train de chercher un moyen de redémarrer sereinement.
Il est assez paradoxal de constater que si certains événements se mettent en place pour septembre en croisant les doigts qu’il ne se passe rien, pour d’autres c’est plus complexe. Il peine à trouver u moyen de fonctionner en tenant compte d’un large public qui va passer et circuler et le respect des gestes barrières. Et la question en suspens derrière tout cela et que va-t-il se passer cet automne ? Le virus saisonnier va-t-il se réveiller et redevenir virulent ou bien ne va-t-il tout simplement rien se passer. En terme de narration, si nous étions les auteurs du scénario de cette pandémie, on voit que l’on est plus dans le mystère. Le danger est présent, mais on ne sait pas s’il va resurgir ou pas. Il nous manque l’info du retour de la crise.
Le mystère est différent de la surprise. La surprise, cela serait si on prétendait avoir vaincu le virus, la société et le monde reprennent normalement, la crise est passée et puis derrière, soudain, en octobre ou en novembre, boum, hausse de la contamination et du taux de mortalité, le virus, tel l’empire, contre-attaque et fait des ravages. tout le monde est estomaqué, nous sommes bien dans le cas de la surprise.
Le mystère est plus générateur de tension, dans notre cas, que la surprise. Nous le constatons bien, nous sommes tous un peu tendus de ne pas savoir si le virus va revenir nous chatouiller les doigts de pieds ou pas. Comment gérer nos vies ? Faut-il reprendre normalement et faire comme si de rien n’était ?
La surprise, au contraire, ne génère pas de tension, puisqu’on ignore qu’il y a danger. Elle ne dure pas longtemps, puisqu’une fois que l’on sait que le virus rattaque, on réagit en conséquence. Elle est donc passagère, et même éphémère. On ne s’attendait pas à cette reprise, et elle arrive.
Plus compliqué, car nous sommes en même temps spectateur et acteur, à appliquer dans ce cas est le concept d’ironie dramatique. il faudrait que nous ayons une info en tant que spectateur que les acteurs n’aient pas. Etant donné que l’on est concerné et que nous vivons dans ce monde, ça devient plus compliqué. Mais si nous n’étions que spectateur, l’ironie dramatique consisterait à ce que nous voyons un rapport médical annonçant la hausse du nombre de malades, et que nous soyons les seuls à le voir. nous, spectateur, avons une informations que le monde n’a pas, et nous savons que le virus revient, mais le monde ne le sait pas. Nous avons donc une information que le héros de notre histoire (si l’on prend notre vaste monde comme héros, ce qui pose d’autres soucis mais là n’est pas le sujet de cette mini-explication) ne connaît pas. Du coup, nous sommes tendus, mais le monde ne l’est pas. Et nous craignons pur ce pauvre monde qui va se reprendre une belle claque en pleine figure !
Et si l’on pousse un cran plus loin, on peut parler d’ironie dramatique diffuse. Là, nous n’avons pas d’information, mais nous sentons que le virus pourrait revenir, alors que le monde l’ignore toujours (mais il ne se rend vraiment compte de rien, celui-là). Dans notre cas, il est plus difficile à appliquer. Ce serait d’entendre les membre de notre gouvernement annoncer que le virus ne reviendra pas, que la contamination a chuté, que la crise est passée. Et à la question du journaliste, « va-t-il revenir ? « , la réponse tombe. « il n’y a pas de raison qu’il revienne. » Et nous nous disons aussitôt, « En fait, il n’y a pas de raison qu’il ne revienne pas alors. » Et nous sentons que rien n’est résolu, et que le danger plane encore, alors même que nous n’avons aucune information précise, ni même imprécise d’ailleurs.
On notera que les ironies dramatiques génèrent une tension, on s’inquiète carrément dans le cas de l’ironie dramatique, et on s’interroge dans le cas de la diffuse.
Ces quatre techniques impliquent plus ou moins le spectateur dans le déroulé de l’histoire. L’ironie dramatique me semble toujours plus intéressante car elle soulève plusieurs questions de « comment notre héros va se rendre compte de cela ? Comment va-t-il réagir à cette découverte ? Le saura-t-il à temps ? » et il me semble qu’elle nous implique pus dans l’histoire, car on se dit « mais vas-y mon gars, bouge, fais quelque chose, le danger est sur toi ! ».
Mais tout cela, ce n’est pas moi qui l’ai découvert, loin de là. Je n’ai fait que vous expliquer des notions très bien définies et détaillées dans la trilogie d’Yves Lavandier, « La Dramaturgie », « Construire un récit » et « Evaluer un scénario ». Trois livres passionnants qu’il ne faut pas hésiter à lire et relire si vous êtes intéressé par l’acte d’écriture, par l’apprentissage des règles pouvant vous aider à la construction d’un récit. Et j’aurais pu vous parler de plein d’autres sujets tout aussi passionnants allant de l’objectif, les obstacles, le protagoniste et je m’arrête là car la liste serait trop longue ici.
J’espère que ce petit aperçu vous donnera une idée des questions que l’on peut se poser en tant qu’auteur, et des choix que l’on peut faire pour les résoudre. Dans le cas de notre pandémie en suspens, par contre, et des décisions à prendre pour mener nos vies en allant de l’avant malgré le danger qui plane, il ne nous reste qu’à suivre le proverbe « espérer le meilleur et prévoir le pire ». Certes, on se retrouve un peu à naviguer à vue au milieu de l’océan en attendant la vague, mais tant qu’on tient notre ligne de flottaison.
Et peut-être que quelque part, un spectateur cosmique nous regarde, et manque de tomber dans les pommes (spatiales) en lisant ma phrase. Il se redresse d’un bond et s’exclame « Mais non, bon sang, comment peut-il écrire cela ! Il ne peut pas rester sans rien faire alors que tout ça va leur tomber dessus ! Comment vont-ils s’en sortir ? »
A bientôt…